Jean-Baptiste Erzen aurait pu être un petit prince demandant de lui dessiner un mouton. Mais c’est l’enfant lui-même qui dessinait le mouton. Dans son âge tendre, tout un bestiaire coulait de sa main, salamandre, poisson, oiseau, chien, chat, grenouille. Il y avait aussi des prairies sous le vent, des Indiens chassant le bison, une princesse noire, immense et à la bouche de diva, des lunes et des soleils.
Je me souviens de l’acuité de regard de cet enfant-là. Ses dessins coloriés au feutre puis ses gouaches et enfin ses pastels n’étaient ceux d’un enfant que par l’univers d’enfant qu’ils exprimaient. Mais il y avait autre chose. Le trait manifestait une sûreté rare, faite de grâce et de pureté. La couleur était juste. Jean-Baptiste savait voir.
Puis l’orage de fer est venu. Pointes acérées en plein cœur. Silence. Silence avec un noir bouillonnement resté dedans. Et une longue nuit.
Un jour la peinture est revenue.
L’aquarelle d’abord. Voiles pâles comme d’arachnéens pansements qui disaient « Ne me perds pas, je t’accompagne. Je ne sais pas si je saurai te guérir mais je t’accompagne. »
Plus tard, Jean-Baptiste apprend la peinture. Ou la peinture a la patience d’apprivoiser Jean-Baptiste, de l’attendre, de distiller ses exigences, ses règles. Elle accepte de faire l’école buissonnière avec lui. Longues errances d’où jaillissent ici ou là quelques pépites parmi les nombreux essais décourageants. Souvent, elle et lui, silencieux, restent devant le grand mur blanc. Elle lui parle aussi : « Laisse le rouge et le vert l’un à côté de l’autre, là, ils peuvent dialoguer. Ne détruis pas cette toile, laisse-la s’endormir. Tu la réveilleras lorsque ton œil sera réveillé, lorsqu’il verra juste à nouveau ».
Aujourd’hui, le jeune homme peint avec sa vie, défaisant sans doute, une à une, les bandelettes de nuit qui l’enserrent encore.
De son pinceau naissent des fulgurances jaunes ; des gris légers traversés par des chemins bleus ; des bruns, des ocres qui évoquent des murs pensifs abandonnés depuis des siècles ; des portes ouvrant sur ce qu’on ne voit pas ; des rouges de Venise mais des rouges timides comme les fruits qui n’osent pas mûrir ; des violets et des mauves capturés dans les lointains. Il y a aussi des visages. Celui d’une femme aux traits doux, yeux tournés vers le dedans, bouche murée par un voile opaque. Et aussi des silhouettes de désert. Ou un drôle d’animal vert et bleu, venu de l’espace, mi-chien, mi-farfadet.
La matière des peintures est tantôt lisse, douce comme la mousse des bois, tantôt rugueuse et forte comme une écorce.
Après chaque toile exécutée dans une sorte de transe, rapidement, comme si le temps allait manquer, la force disparaître, la vision s’évanouir, c’est l’apaisement né de la fatigue de la lutte et avec le travail de la forme et de la couleur.
L’œuvre qui se fait est vraie. Elle parle de souffrance et d’amour.
Le Villeneuvois Jean-Baptiste Erzen expose ses peintures à l’huile au Café Cantine durant le mois de mai.
Des œuvres marquées par l’abstraction aussi profondes que flamboyantes par le jeu des couleurs.
Sa tante, artiste également, loue l’acuité de son regard qu’elle avait déjà observé sur ses dessins d’enfant. Elle y avait décelé une étonnante maturité et une technique prometteuse qui affleurait.
« Le trait manifestait une sûreté rare, faite de grâce et de pureté. La couleur était juste », souligne-t-elle joliment.
Jean-Baptiste Erzen, qui vit à Villeneuve, expose tout le mois de mai ses œuvres picturales au Café Cantine, 3 rue de la Convention.
Des expositions personnelles et collectives ont déjà mis en perspective le talent de cet artiste peintre âgé de 38 ans, fasciné par la recherche sur la couleur, la matière, l’abstraction et la figuration humaine.
Jean-Baptiste apprivoise très tôt la technique du pastel et de la peinture à l’huile auprès de sa tante Isabelle Caplet qui n’a de cesse de l’encourager.
Formé au dessin d’architecture chez les compagnons du devoir, il entreprend ensuite des études d’arts décoratifs à l’Institut IFIDEC à Paris.
Un cursus inachevé « lorsque je suis tombé malade » déclare-t-il pudiquement. Ce que sa tante souligne à mots couverts et métaphoriques « Puis l’orage de fer est venu. Pointes acérées en plein cœur. Silence avec un noir bouillonnement resté dedans, et une longue nuit…Un jour la peinture est revenue. »
De cette hypersensibilité, Jean-Baptiste Erzen a su tirer une grande force, des fulgurances, et des esquisses obsédantes accomplies au fusain ou à la craie. Une création qui s’exprime au gré d’un impérieux équilibre des couleurs, d’un camaïeu de teintes mêlées de terre de Sienne, de rouge vermillon, de gris de fumées, appliquées au couteau et essuyées au chiffon. « Le sens des couleurs et leur harmonie m’apparaissentspontanément, même devant une œuvre extérieure. L’artiste s’abreuve aux grands maîtres les expositions d’Olivier Debré, Jean Degottex, Paul Rebeyrolle, Soulages, Rothko et sympathise avec Alfonso Marchica.
Amoureux de l’abstraction lyrique avec un coup de cœur pour Zao Wou Ki, il est sensible également à la nouvelle figuration.
Esthète, cultivé, Jean-Baptiste Erzen s’est intéressé à l’iconographie selon la technique « tempera » sur bois, à laquelle il s’est exercé dans le monastère de Cantauque dans l’Aude. Il y a suivi une initiation sur l’art de l’icône avec sœur Macrine. Toujours ce besoin de flirter avec le sacré et les nourritures spirituelles. Il confesse une fibre mystique et ce n’est pas un hasard s’il réalise des Christs en majesté sur grand format.
Les œuvres dialoguent
Le dessin demeure une autre passion éprouvée dans l’atelier de l’artiste Maryannick Cornou à Limoux, chez laquelle il a suivi une formation.
Mais c’est à Bordeaux qu’il a assouvi son penchant pour les visages et le corps humain, en recevant l’enseignement d’Edith Bellakhdar à l’atelier du Jardin.
Les femmes lui ont servi de « repaires » dans ce cheminement pictural à découvrir au Café Cantine. C’est la contemplation de la nature et son dénuement qui dominent sur ses toiles.
Un bouillonnement ou a contrario un calme intérieur qui transparaissent. L’idée d’une fragilité est sublimée dans ses œuvres, avec des lignes de fuite et des horizons qui se fondent et se confondent comme sur une mer calme ou démontée selon les jours.
Il n’intellectualise pas la portée de ses œuvres. Il peint à l’instinct.
« Cela me fait du bien. Je ressens du plaisir à faire quelque chose de beau ». L’artiste conserve en arrière-plan dans son imaginaire tous les artistes qui ont su le toucher et l’émouvoir.
Certaines de ses œuvres semblent dialoguer entre elles.
Sa mère Marie-Thérèse lui reconnaît trois lignes de force qui le guide la peinture, la musique, la marche.
Caroline Saint-Pierre Dimanche 28 avril 2019 La Dépêche du Midi
Jusqu’à dimanche, Jean-Baptiste Erzen expose à la galerie Art Broc Café. Ses premières œuvres ont vu le jour à Paris, où il a vécu ses années de jeune adulte. Mais il vit actuellement à Villeneuve-sur-Lot, le lieu de sa jeunesse. Enfant, il adorait dessiner. Il a appris la technique du pastel, puis l’aquarelle et la peinture à l’huile avec Isabelle Caplet. A 17 ans, il a fait une formation de dessin architecte chez les Compagnons du Devoir à Agen. Des études d’arts décoratifs à l’institut IFIDEC l’ont emmené à Paris. Jean-Baptiste a continué sa formation en dessin et peinture et a suivi une initiation à l’art de l’icône au monastère orthodoxe de Cantauque.
À Bordeaux, à l’Atelier du Jardin, Jean-Baptiste s’est intéressé au visage et au corps humain. Ses couleurs paraissent voilées ; par un jeu de demi-teinte, son imagination et celle du visiteur peuvent s’évader…
Lutgarde Detry
Publié le 20/06/2018 dans Sud-Ouest
Grande silhouette, personne fort discrète mais toutefois sachant s’animer pour parler, raconter SA peinture, un art que J.-B.Erzen pratique depuis son enfance. Avec des hauts et des bas selon les épreuves, les joies, les aléas de la vie qui jalonnent son quotidien comme tout un chacun… La sérénité tout comme la souffrance, tout cela peut aussi être source d’inspiration. Erzen préfère travailler seul, toutefois, sur son parcours d’homme jeune, il a trouvé auprès de gens de l’art de bien bons conseils ; à commencer par sa tante, artiste elle-même, qui a su le guider sans imposer, le pousser à aller plus loin, à prendre confiance ; puis un enseignant d’art à Limoux qui intervient en lui donnant des bases utiles pour son coup de crayon et pinceau. L’atelier de grand-mère fut un temps un bon refuge pour le peintre Erzen où il pratiqua encore et encore l’abstrait, le mélange des couleurs, les pinceaux, le couteau. La rencontre avec Marchica, peintre du Villeneuvois, l’a beaucoup aidé dans son évolution…
Et rien de tel que de remettre sur la table son ouvrage et d’oser aller de découverte en découverte pour parvenir aujourd’hui à une production intéressante d’huile, de fusain et crayon : des natures mortes, personnages, modèles vivants aussi (après un passage riche d’enseignements à l’école André-Malraux). L’actualité de Jean-Baptiste Erzen est de travailler quotidiennement à son art et de préparer son actuelle exposition au Florida d’Agen (du 3 au 30 octobre) avec Phiatlux, un autre artiste.
La Dépêche
Publié le 05/11/2013